Extrait de " Geer van Velde " de Germain Viatte aux Editions Cahiers d'Art

Geer van Velde ( comme la plupart des peintres ) dit que le moment où le tableau est fini est celui où il s'en trouve expulsé . Mais, pour lui , cela ne signifie pas la perfection d'une apparition objective : c'est le moment où la relation entre l'action d'une présence invisible et les pointes les plus avancées du sensible parvient à s'établir , à se fixer . Alors , il n'a plus rien à y faire  ; il est rendu à lui-même . Mais a-t-il jamais été concerné ? Démobilisé , a-t-il été mobilisé ? Oui, certes ! Car il ne s'agit pas de son humeur , de son angoisse ou de ses joies , il s'agit bien de son désir, du désir de quelqu'un d'entrer en relation avec ce qui le fonde et le dissout . Et il faut aller jusqu'au bout de sa personne pour trouver la porte de sortie , le battant où , dans le palais des miroirs , ne se reflète pas sa propre image , il faut tout le temps , toute la vie pour trouver ce en quoi le temps et la vie peuvent s'oublier. A 72 ans , dit Geer , on commence à comprendre de choses . Le quittant , je songeais à ce qu'à écrit Hermann Broch sur le style de vieillesse, le moment où la syntaxe enfin apparaît après le luxe et la jeunesse des mots. Et je songeais , bien sûr , à la phrase fameuse d'Hokusaï , à ces quelques jalons que l'art extrême-oriental laisse trembler au bord du vide, mais aussi aux miroirs auxquels, dans le "pays d'origine " de Geer, s'est trouvé prise l'aile transparente de la lumière , damiers de Vermeer , carrés de Mondrian , patinoires des canaux gelés.