Malgré la langue
il n'y a pas de poème
sans arrière pays de Yvon Le Men " Chambre d'écho" page 8 aux Editions Rougerie
Le manteau que l'on porte est trop fin pour arrêter l'hiver, et la tristesse et l'exil, malgré le soleil, atteignent jusqu'au corps le plus profond celui qui résiste et pèse, la nuit, dans les rêves les mieux envolés. les paysages traversés ne savent rien de nos passages, ils restent inchangés. Voilà bien l'étrangeté du voyage: on traverse immobile une autre immobilité. Est- ce ce que recherche Reine lorsqu'elle s'éloigne de nous, de Mopse, de moi? Il semble que tout soit impassible dans ces zébrures qui frappent nos yeux au passage. Une douleur tranquille dans un pays figé. Où sommes- nous, Hölderlin? Sur les avenues, des pigeons courent sous les arbres, soûls de vent et de parfums. Comme eux j'essaie dans la ville de voler le plus bas possible, de manière à apercevoir le dessous des ombrages le froufrou des jupons fous des filles et des arbres. Tel est le travail des poètes: être au plus bas du monde. En dessous. Non dans la profondeur, simplement en dessous, comme dans l'expression - avoir un regard en dessous- c'est- à- dire un peu oblique, sournois presque. Quand quelqu'un est au plus bas, c'est qu'il est proche de la terre à nouveau. Il est près de la rejoindre, comme à son début. S'en tenir au plus bas.
de Sylvie Durbec " L'apprentissage du détachement" pages 60 et 61 aux Editions Fayard, 2000.
Les mots, les noms sont enfouis. le mauvais oeil est dans la terre, le mauvais sort est dans la fosse. Maudit, mal- dit, damné. Celui qui fut n'a pas été si nos lèvres ne lui font sépulture. Monument de la langue. Ecrire c'est peut-être celà. ramasser les mots et les noms dont personne ne veut, que personne ne sait plus, n'ose plus prononcer. les ramasser, les relever, les redresser, les ériger. Pour faire face à l'oubliance. Ecrire ce n'est pas accuser, mais résister au non- lieu, à l'obscénité morbide d'un - ceci n'a pas eu lieu-, résister à la confusion des vivants et des morts. Ecrire c'est séparer pour mémoire garder.
de Michaël Glück " Le grand chantier" page 10 aux Editions Via Valeriano, 1996
L'homme qui conduit était descendu une première fois pour négocier son installation, travail, salaire. On ne quitte pas facilement l'ailleurs pour venir ici. Ailleurs il avait ses habitudes, ses amis, la parenté. Il n'était pas trop loin de la belle- famille. Ailleurs il était chez lui ou presque. Ici, il faudrait tout recommencer. A la fin de l'entretien avec le chef du personnel l'homme avait dit qu'il réservait sa réponse, qu'il voulait entendre d'abord les sentiments de son épouse. Pour venir ils sont passés par l' Ariège où l'homme a ses sources, sa passion du rugby. Après Arles, ils ont bifurqué. Nationale 568. La femme cherche le paysage. Elle ne voit rien. ce qui ne ressemble pas aux terres grasses de sa Normandie n'est rien.. Des tas de cailloux, pas de végétation, rien. Il n'y a pas pour elle le sec et l'humide, mais un bol d'angoisse au bord des lèvres.
de Michaël Glück " Le grand chantier "page 14 aux Editions Via Valeriano, 1996
Parfois je passais à travaers la feuille
pour que dans son corps
mon désir et mon amour se rejoignent
comme dans le poème
les morts et les mots
se retrouvent.
de Yvon Le men " Chambre d'écho" page 41 aux Editions Rougerie